Pour une DRH des savoirs

Lorsque les directions des ressources humaines sont appelées dans les médias, la question est très souvent identique. On y parle des tuyaux pour permettre aux salariés de répondre aux obligations du Code du Travail ou aux attentes des politiques.

En 2021, on a ainsi beaucoup parlé de télétravail, beaucoup de distribution de masques, beaucoup de flex office… et finalement si peu des salariés et de la nécessité de développer leurs savoirs.

Enfermer la fonction des ressources humaines dans la seule expertise de la mise en place, et ensuite de la gestion, des tuyaux, c’est lui redonner la place de direction du personnel. Celle dont elle a essayé de se détacher ses dernières années.

Faire des DRH des architectes du droit social, c’est oublier que l’atout premier des entreprises est les femmes et les hommes qui la composent, qui la font vivre et non les règles légales qui « régissent » les relations.

Le télétravail n’est pas le travail à distance des locaux habituels de l’entreprise, ni un accord régissant sa mise en œuvre. Le télétravail, c’est une modalité différente d’exercer son métier, modalité qui par essence, ne peut convenir à tous, ne peut être imposée à chacun. Réussir la mise en place du télétravail dans une entreprise ne se mesure pas au nombre des salariés ayant opté pour cela, mais à la capacité des femmes et des hommes de continuer à vivre ensemble, dans une même société, à distance.

Le flex office n’est pas l’outil premier d’économies financières souhaité lors d’une période de crise économique. L’aménagement des espaces, c’est réussir à proposer aux collaborateurs un cadre de travail alliant créativité et intimité, territoires collectifs et territoires individuels. Allier la puissance du collectif pour créer de la valeur sans perdre la création d’une zone individuelle personnalisée pour développer une sécurité psychologique, voilà des enjeux premiers.

Les sujets sont nombreux et ne peuvent être égrenés ici dans leur totalité.

Ce que nous a montré 2021, et les années de crise de la Covid 19, ce n’est pas l’importance du cadre mais la capacité de faire avec agilité, de faire confiance aux uns et aux autres.

Cela nous a montré aussi, si besoin en était, toute l’importance des savoirs. Combien de salariés ont été en capacité de se réinventer durant ces derniers mois où le cadre avait explosé ? Combien de salariés, dans le même temps, ont décroché car leurs valises de connaissances n’étaient pas assez riche pour affronter l’incertitude ?

Les tuyaux sont les circuits permettant de mettre en œuvre les décisions, ils ne peuvent être les décisions en elles-mêmes. Mélanger le message et le messager, c’est laisser à d’autres la force de construire le message.

Le rôle d’une direction des ressources humaines doit être, avant toute autre chose, celle des savoirs. Les savoirs-être, les savoirs faire. Se placer ainsi comme un accélérateur des compétences, comme une mise en valeur des connaissances est un rôle central. Cela doit être l’ADN de cette fonction.

Aymeric Vincent

Intimité et travail

La crise sanitaire que nous avons traversée, de manière dramatique pour beaucoup d’entre nous, aurait changé notre rapport à soi-même, au travail, à l’entreprise.
S’il est évidemment bien trop tôt pour l’affirmer, quelques premières pistes de réflexion peuvent émerger ici et là.

L’intimité à la lumière des autres

L’intimité, à l’occasion de cette crise et en particulier du confinement imposé, est sortie du lieu confidentiel où elle doit habituellement résider. Sur plusieurs points, il y a eu une nécessité, parfois imposée, rarement désirée, de dévoiler des secrets qui seraient restés enfouis en temps habituels.

La relation à la maladie, à la vie et finalement à la mort par exemple.
Hier, lorsqu’un collaborateur toussait dans l’open-space ou à la cafétéria, on s’inquiétait qu’il ait pu prendre froid à cause de la climatisation ou avaler de travers son café. Aujourd’hui, quel regard portons-nous sur lui ? Celui de diffuseur de virus, de transmetteur de particules dangereuses, d’agresseur.

La relation à sa propre maladie, à ses propres faiblesses d’un corps d’apparence sain et fort, est également mise en lumière. Référencée par les autorités médicales comme étant un facteur aggravant en cas d’atteinte par le coronavirus, le collaborateur a été parfois dans la nécessité de révéler cette part de lui-même jusqu’à présent cachée. Cette fragilité insoupçonnée devenue visible pour justifier un confinement précoce, un retour au bureau retardé. Comment l’entreprise, ayant connaissance de cette situation, pourra-t-elle prendre les décisions relatives à ce salarié en faisant totalement abstraction de cela ? Qui du salarié en très bonne santé, ou pour le moins affichant celle-ci, ou de celui que la crise a obligé de révéler son état, sera promu ?

La relation à l’intimité de son intérieur, de son chez soi ensuite.
Les multiples réunions par visioconférence ont donné à voir à ses collègues un horizon social jusqu’à présent peu ou pas du tout dévoilé. Chacun est rentré dans l’appartement, la maison, le cocon de l’autre. Les environnements personnels ont largement dépassé le cadre de la photo posée sur le bureau, du fond d’écran d’ordinateur, des échanges à la machine à café. Cette décoration, cet objet derrière mon collègue qui a attiré mon œil durant toute la conférence, quel est mon jugement à son propos, est-ce de bon goût ? Et que dire de ces enfants, adorables et encombrants, qui ont surgi au moment le moins désiré, sont-ils bien ou mal élevés ?

Que vais-je faire de ces informations qui relèvent de l’intimité et qui m’ont été accessibles durant toute cette période, souvent à plusieurs reprises ? Est-ce que mon regard change sur ces collaborateurs depuis ? Comment ne pas coller des étiquettes ou ranger dans des catégories définitives, et parfois faciles, ce flot d’informations qui est arrivé jusqu’à moi ? En temps ordinaire, le dévoilement de son intimité se fait touche après touche, dans un mouvement contrôlé, et souhaité, par celui qui se dévoile. La vague épidémique a accéléré l’ouverture des portes de son chez soi, de son intérieur, bien involontairement le plus souvent.

Les temps modernes du télétravail

En lien avec l’intime, avec ses jardins secrets, le télétravail revient fortement dans les sujets de débats. Cette thématique, absolument pas nouvelle, reprend des couleurs au regard de la crise économique, davantage finalement que de la crise sanitaire.

Se pose alors la question de la capacité d’une entreprise d’exister en tant que rassemblement de personnes et pas uniquement en tant qu’alliance de forces de travail. Réussir son épanouissement professionnel ne passe pas exclusivement par un emploi apprécié, il passe aussi par l’environnement dans lequel il s’exerce. Celui-ci ne peut se limiter aux interactions par écrans interposés. La rencontre physique doit rester prédominante dans la relation à l’autre. L’humain n’est pas une machine, le contact n’est pas qu’électrique.


Souhaitons-nous devenir des « robots » passant des journées devant une machine pour parler à l’autre, de faire partie d’une équipe totalement virtuelle ? Souhaitons-nous ne plus avoir la surprise de la rencontre non planifiée, de l’étonnement d’une situation à la croisée de couloirs ?
Passer de son canapé à sa table de cuisine, rester dans son cocon douillet et sans granularité, offre des perspectives peu créatives. Finalement, n’est-ce pas là retrouver, en partie, le célèbre familistère de Guise mis en œuvre par Godin au XIXème siècle ? Lieu unique où se retrouvaient l’usine, le logement mais également les salles de spectacles, la crèche… Un seul lieu pour sa vie, un seul horizon pour s’épanouir socialement.

Cette crise aura été probablement un accélérateur de nombreuses tendances préexistantes, une exagération incroyable de situations connues. On peut le regretter, on peut se lover dans la nostalgie du monde passé ou se bercer d’illusions du monde futur.

Au-delà de tout cela, concilions aujourd’hui la nécessité des jardins secrets avec celle des joies du collectif ; l’amour de la surprise avec les facilités des technologies. Bref, essayons d’être ce que nous sommes, des femmes et des hommes sociaux bien plus que des individus machines de travail. Dévoiler son intimité et s’enfermer dans le télétravail, les deux dans l’excès, c’est risquer de perdre nos spécificités par rapport aux machines.

Article à retrouver également ici

Le droit à la déconnexion, un échec collectif

Le droit à la déconnexion est entré en vigueur le 1er janvier. Son inscription dans le Code du travail souligne, hélas, l’incapacité des managers et des employés à «débrancher» par eux-mêmes.

Depuis le 1er janvier, les entreprises de plus de 50 salariés doivent appliquer  le dispositif de droit à la déconnexion qui figure dans la loi Travail. Voilà donc un nouveau droit qui s’ajoute à la longue liste existante.
Lorsque l’on prend quelques instants pour réfléchir à ce droit, on peut s’étonner finalement de voir son inscription dans le Code du travail. Qu’est-il d’autre ce droit que la défaite du management ? Et même finalement l’échec de chacun d’entre nous.

En effet, il est apparu nécessaire de nous rappeler le bon usage des outils de travail, que dis-je, de nous obliger à débrancher notre ordinateur, notre smartphone, notre bureau digital. Est-ce à dire que chaque salarié, chaque manager, chaque entreprise n’étaient pas en capacité d’apprendre le bon usage de l’outil digital aujourd’hui, comme hier ou demain celui d’autres outils ?

Enseigner le droit à la juste connexion

Par ailleurs, inscrire dans le Code du travail le droit à la déconnexion c’est également imaginer un lien direct entre la pensée et l’outil. Puisque j’ai mon smartphone allumé, je pense travail et même je travaille. Il va donc de soi que le smartphone éteint, le travail s’envole !

Ce n’est donc pas un droit à la déconnexion qu’il est important d’enseigner, mais celui à la juste connexion. Cet objet que je tiens dans la main que recouvre-t-il précisément ? Quelles réflexions dois-je avoir avec lui pour progresser dans mon développement professionnel ?

Et mon manager, mon collègue de qui je reçois un message, suis-je bien là pour lui répondre, bien présent pour lui transmettre à mon tour un message ? Si ma réponse est positive, pourquoi devoir brancher une prise pour envoyer le signal ? N’est-ce pas moi, seul, qui doit mettre le courant, faire passer le courant ?

Ce droit à la juste connexion, finalement, n’est-ce pas tout simplement une relation humaine basée sur la confiance, la bienveillance et la transmission ? Alors que le droit à la déconnexion est, au contraire, fondé sur la méfiance et l’infantilisation.

Article publié sur les echos.fr le 9 janvier 2017.

L’entretien annuel ou la défaite du management

L’entretien annuel, pratique mise en place dans de nombreuses entreprises, consiste à formaliser une rencontre entre le manager et le salarié au rythme d’une fois par an. Et si finalement cette pratique ne signait-elle pas la défaite du management ?

Le législateur a récemment orienté la lumière, de manière indirecte, sur l’entretien annuel en obligeant les entreprises à déployer des entretiens dits professionnels. Ces derniers qui ont lieu le plus souvent tous les deux ans doivent porter sur le futur du salarié, sur ses perspectives d’évolution professionnelle. Ainsi, entre dans la législation une obligation d’entretien pour tous les salariés.

À l’occasion de cette nouveauté, plusieurs prises de parole se sont produites pour dénoncer non pas ce nouvel entretien, mais l’entretien dit annuel, d’évaluation, d’activité selon les dénominations pratiquées.

Quelles sont les finalités d’un entretien annuel ? Il doit permettre aux deux parties en présence de faire le bilan de l’année qui s’est écoulée et de tracer les perspectives de l’année à venir. Il peut également mettre en avant, de manière plus ou moins explicite, les points forts et les points d’amélioration du collaborateur.

Certaines entreprises laissent également la possibilité de s’exprimer sur la rémunération, l’environnement de travail ou encore la qualité de la relation managériale. Bref, quand on regarde avec attention le contenu de ces entretiens, on y retrouve, dans ses grandes lignes, des composantes du management.

Alors se pose naturellement la question de la raison même de l’existence de ces entretiens annuels… à moins qu’ils ne soient là que pour palier à la faiblesse du management, management à qui il est, paradoxalement, demandé de faire passer ces mêmes entretiens !

Récemment, j’ai été invité à participer au jury du serious game de Decathlon qui demandait à plusieurs équipes d’étudiants de réfléchir sur le lien entre la notion d’ambassadeur de la marque et celles de collaborateurs ou de clients. Le point commun entre toutes les présentations était la confiance nécessaire entre chaque partie prenante pour que cela réussisse.

Comment ces jeunes étudiants, et tous les autres peuvent alors considérer le rendez-vous annuel de l’entretien ? Comment pour eux, mais aussi pour les salariés actuels, imaginer qu’un rendez-vous une seule fois par an suffise pour formaliser sa relation au travail, relation qui doit être basée sur la confiance et non sur un examen annuel ?

L’entretien annuel doit donc changer de contenu et de rythme. Il ne peut devenir qu’un support, qu’un guide pour aider les managers à progresser dans leur relation managériale. Il doit également changer de rythme et devenir quotidien ou hebdomadaire.

Ainsi, l’ancien entretien annuel deviendra un vecteur de formation continue aussi bien du manager que du collaborateur. Il aura alors définitivement quitté ses habits de grand oral des compétences, qu’il revêt encore trop souvent aujourd’hui, pour revêtir ceux du développement de ces compétences.

Article publié sur les Echos